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Les causes du blocage du processus de démocratisation en Afrique subsaharienne

 

 

               

Pourquoi dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne des élections transparentes et l’alternance démocratique par la voie des urnes semblent-elles impossibles à un moment d’opportunité historique où les pouvoirs politiques africains pourraient profiter du nouvel ordre mondial pour se réapproprier pleinement leur destin politique comme semblent savoir le faire les Nord-Africains ? Le problème de la transparence des élections et de l’alternance démocratique du pouvoir par la voie des urnes en Afrique subsaharienne relève-t-il de causes matérielles ou de causes psychologiques morales et politiques ? Existe-t-il une solution pour sortir définitivement du cycle de la manipulation des constitutions, de la monopolisation du pouvoir politique, de la fraude électorale, du boycott des élections et de la contestation des résultats électoraux ?

En Afrique sub-saharienne, trois phénomènes colorent le soubresaut démocratique en lui donnant une tonalité particulière : la défiance généralisée entre le pouvoir et l’opposition qui se décline sous la forme du boycott des élections et de la contestation des résultats, la violence qui s’appuie bien souvent sur la fraude électorale, et le caractère généralement ethnique du vote. De la Côte d’Ivoire à la République démocratique du Congo, en passant par le Gabon, le Cameroun, la Guinée, le Togo le Benin, le Kenya ou le Zimbabwe, les élections sont boycottées et leurs résultats sont contestés. Leur transparence est mise en question. Lorsqu’elles sont, en de rares cas, comme en Côte d’Ivoire, favorables aux partis d’oppositions, le parti au pouvoir refuse de reconnaître sa défaite. Les exceptions au Niger, en Zambie, à São Tomé et au Cap-Vert, ne font que confirmer la règle générale. Au Soudan par exemple, l’unité politique du pays a été brisée par le séparatisme provoqué par les conflits confessionnels et le mépris racial hérité de l’esclavage interne. Les élections qui se déroulent, en ce moment, en Afrique du Nord sans contestation des résultats, sans boycott et sans observateurs internationaux, font donc ressortir le saisissant contraste entre une Afrique du Nord, qui semble s’être engagée pleinement dans la démocratie, et une Afrique subsaharienne qui peine à s’y engager comme en témoigne l’incendie électoral qui menace de s’allumer au Sénégal, un pays considéré jusque là comme une démocratie exemplaire en Afrique.

Dans la partie de l’Afrique située au sud du Sahara règne donc la division politique entre des parties irréconciliables. La création de Commissions Electorales Indépendantes et la présence des observateurs internationaux ne parviennent pas à restaurer la confiance entre les protagonistes. Censés garantir l’indispensable impartialité qui validerait les élections, ces organes sont cependant accusés de partialité. Dans bien des cas, l’alternance démocratique par la voie des urnes, semble donc impossible, ou bien elle s’obtient par le recours à l’insurrection armée. Mais cette victoire armée de l’opposition conduit à la fuite des membres de l’ancien parti dominant qui organisent à l’étranger les manœuvres de leur retour en lançant des mots d’ordre de boycott et en ourdissant des entreprises de déstabilisation du nouveau pouvoir. Pour désamorcer les crises à venir, des solutions sont alors préconisées qui tendent à préconiser la partition ou à sacrifier le droit à la réconciliation, à réintroduire l’impunité au niveau de l’Etat et à institutionnaliser la division sous la forme du partage du pouvoir entre des factions irréconciliables.

D’où ce questionnement : Quels sont les sources des blocages au processus de démocratisation en Afrique ? Le problème de l’alternance démocratique du pouvoir par la voie des urnes et de la transparence des élections relève-t-il de causes matérielles ou de causes psychologiques morales et politiques ?

Le cas de la Côte d’Ivoire, où l’injection de moyens physiques et financiers colossaux par la communauté internationale pour résoudre tous les problèmes matériels, n’a pas permis d’éviter la suspicion et la contestation des résultats de l’élection présidentielle, prouve que la contestation des résultats électoraux ou l’absence de transparence des élections relèvent plutôt de causes politiques, psychologiques et morales que de causes matérielles. La solution séparatiste entre le Nord et le Sud ivoirien qui a affleuré à un moment donné dans un pays où beaucoup de sudistes considèrent aujourd’hui encore, à tort ou à raison, que le pouvoir légitime actuel est un pouvoir des gens du Nord, des Dioulas, atteste de la réalité de la défiance politique et de la persistance des clivages ethniques et régionalistes. Si la mise à disposition des moyens matériels indispensables n’empêche pas la fraude électorale, cela signifie qu’il existe dans les partis en compétition une volonté de trafiquer les résultats pour s’arroger la victoire au mépris des règles ; une volonté de s’approprier illégitimement le pouvoir qui déjoue les moyens matériels livrés pour empêcher la pénurie des urnes, surveiller le vote des électeurs et garantir la transparence des élections. Si la présence des observateurs étrangers et la transparence des élections n’empêchent pas la contestation, cela signifie que règnent par-dessus-tout la défiance, la suspicion, et l’intention de refuser le gouvernement de l’Etat à l’adversaire politique. Si le vaincu n’accepte pas sa défaite, malgré la transparence des élections et la régularité des votes, c’est qu’il existe une volonté de réintroduire la logique de la force et de prendre le pouvoir en faisant fi du principe de l’élection et de la majorité du suffrage dans le cadre de l’Etat moderne légué par la colonisation. Un tiers est alors requis qui doit garantir une impartialité et une transparence impossibles des élections entre des factions originairement divisées et animées par l’intention et la volonté de frauder, pour s’emparer du pouvoir d’Etat, voie d’accès à la puissance, à la richesse et à la sécurité. Quelle est donc la source de la défiance politique qui conduit à la manipulation des constitutions, à la fraude électorale, aux boycotts et aux refus des résultats électoraux ?

L’argument souvent avancé des manipulations ourdies par les anciennes puissances coloniales, et la thèse qui soutient que le repli identitaire et les antagonismes ethniques en Afrique constituent des réactions à l’aliénation et à l’exploitation néocoloniale internationale, ne suffisent pas à expliquer la défiance politique intra-africaine. La défiance entre les protagonistes des élections et la volonté de monopoliser le pouvoir d’Etat, sources de la fraude et de la contestation des résultats électoraux, règnent dans les Etats multiethniques d’Afrique subsaharienne parce que, sont inexistantes, une unité nationale et un intérêt général dont les divers partis seraient respectivement les expressions particulières et les serviteurs. L’âpreté de la lutte politique et le caractère irréconciliable des positions exprime une vacuité d’unité politique. Sous le masque de l’unité politique, la division, et l’affrontement de factions et de groupes communautaires aux pulsions centrifuges et aux intérêts divergents, sévissent dans les Etats multiethniques d’Afrique subsaharienne. Les divers peuples rassemblés sur le territoire n’avaient pas participé et consentis de plein gré à l’unification juridique de l’Etat moderne et aux principes qui régissent le renouvellement de la classe politique. Création artificielle léguée par la colonisation, l’Etat ne fut pas la production du peuple souverain. La nation multiethnique unitaire qui devait donc être créée par le choix et le consentement de ses membres ne le fut donc que par simple proclamation par la propagande officielle. La nation fut un slogan creux dans les Etats sub-sahariens légués par la colonisation. En leur sein, la défiance politique actuelle et les antagonismes ethniques expriment les problèmes irrésolus de la fondation de l’Etat et de la construction de la nation.

Loin donc de traduire une corruption morale foncière des hommes et un désordre inhérent aux sociétés africaines modernes, les tensions politiques présentes ramènent au problème du contrat social qui appelle une solution. La crise contemporaine de la démocratisation renvoie aux diverses tensions intérieures qui relèvent de l’histoire et qui explosent au moment où les peuples sont désormais appelés à s’autodéterminer politiquement et à choisir eux-mêmes leurs dirigeants dans le cadre de l’Etat territorial légué par la colonisation. Il faut donc explorer les sources internes de la défiance et de l’antagonisme communautaire pour tenter de trouver une solution au mal politique de l’Afrique subsaharienne. L’historienne Coquery Vidrovitch pointe, en guise de source de l’antagonisme ethnique africain, la fabrication de l’ethnicité et l’accentuation de la division ethnique à des fins de contrôle et d’administration politique par le pouvoir colonial. Mais il est donné de penser que l’efficience de cette politique d’atomisation et de division coloniale s’est appuyée sur un terreau favorable. Pour le géographe Yves Lacoste , la racine des antagonismes ethniques se trouve respectivement dans les contentieux géopolitiques remontant à la période de la traite esclavagiste intérieure qui a sévi entre les diverses communautés en Afrique sub-saharienne.

Les conflits communautaires seraient la conséquence de l’achèvement tardif de la période durant laquelle a dominé en Afrique le mode de production esclavagiste, au sens de produire des esclaves pour les vendre après les avoir fait capturer et acheminer souvent sur de longues distances. Les tensions actuelles qui sévissent dans les Etats multiethniques subsahariens s’expliqueraient en profondeur par la défiance, le mépris et la rancune qui règnent encore entre les groupes prédateurs esclavagistes locaux et ceux qui ont été leurs victimes. La défiance politique serait une résurgence de la défiance atavique entre des ennemis historiques qui conservent encore la mémoire des raids négriers et qui se sont retrouvés enfermés ensemble dans les frontières d’un Etat territorial tracées arbitrairement par la colonisation. L’antagonisme ethnique s’expliquerait, à l’étape suivante, par l’exacerbation du tribalisme par les Etats coloniaux et postcoloniaux. La manipulation contemporaine de l’ethnicité par les élites en compétition pour le pouvoir, les avantages économiques et les positions prestige, dans les Etats multiethnique d’Afrique sub-saharienne, constituerait la dernière source en date de ce processus de la division intérieure africaine.

Dès lors, la question urgente est donc celle-ci : Les contentieux géopolitiques historiques et le problème du contrat social dans les Etats multiethniques subsahariens peuvent-ils être aujourd’hui résolus par la démocratie et de quelle manière ? Comment restaurer la confiance politique et diffuser l’idée et le sentiment national entre des peuples historiquement clivés ? Comment construire l’unité nationale dans le cadre de l’Etat territorial en respectant la diversité ethnique sans faire de l’ethnicité ou du confessionnalisme un critère de légitimité politique et sans en faire le fondement de la constitution ? Une réflexion pluridisciplinaire et une mobilisation des énergies sont urgemment requises pour imaginer des solutions adéquates afin de parer au danger des séparatismes et au risque de la balkanisation de l’Afrique. Elles doivent être entreprises dès maintenant car le temps nous est compté.



04/01/2012
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