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L'Élysée, un palais maudit

 

 

Derrière les fastes et le décorum de ce lieu de pouvoir, se cachent également des fantômes et des morts... Bienvenue dans le château hanté !

L'Élysée, un palais maudit

© Patrick Kovarik / AFP

 

Le palais de l'Élysée a évidemment fière allure avec son vestibule majestueux, ses salons du XVIIIe siècle et son jardin privatif de plus d'un hectare au coeur de Paris. Pour tout ambitieux, il reste le Graal suprême, le capitole d'un destin politique, le palais de tous les pouvoirs, fréquenté depuis deux siècles et demi par la plupart des princes et des puissants qui ont gouverné la France de près ou de loin. Mais il est aussi un lieu de vie, témoin d'épreuves, d'affres et de coups durs dont personne n'est exempt. On l'a oublié, mais la mort a souvent rôdé autour de ses murs, et l'endroit n'a pas toujours porté chance à ceux qui en ont franchi le porche.

Le drame de la Pompadour

La première à en avoir fait l'expérience fut la Pompadour. En 1753, elle s'offre ce pied-à-terre, entre Paris et Versailles, tout proche du couvent des Assomptionnistes où est élevée sa fille Alexandrine, prunelle de ses yeux. La duchesse - elle porte le titre depuis quelques mois - se lance dans des dépenses somptuaires pour en faire un palais digne de son rang. Près de 100 000 livres sont englouties dans les réfections et la décoration : boiseries, marbres, peintures de Boucher et Van Loo, tapisseries des Gobelins, lustres en cristal de Bohême - les rideaux valent à eux seuls 6 000 livres !

L'effort porte aussi sur les jardins, la Pompadour rêvant là d'une immense aire de jeux pour sa fille avec portiques, cascades, labyrinthe et même une grotte toute dorée... Mais, six mois à peine après le début des travaux, sa petite Alexandrine décède, plongeant la duchesse dans une profonde affliction. Elle s'enferme dans sa demeure, songeant à ses promesses de bonheur envolées, conspuée par des Parisiens sans pitié pour qui elle ne reste que "la putain du roi", passant "ses journées au lit à cracher du sang", raconte un témoin. "Elle n'osait plus sortir de l'hôtel d'Évreux, sinon en carrosse fermé, pour aller prier aux Capucins", le couvent où est enterré sa fille. Elle ne fera finalement que de brefs séjours dans son hôtel avant de l'abandonner complètement à son frère, Abel de Marigny.

Coups de poignard

En 1816, les mauvais souvenirs semblent effacés. Bonaparte et Murat ont déserté les lieux. L'Élysée est vacant. Il échoit au jeune duc de Berry sur ordre du roi Louis XVIII. Là encore, le duc et son épouse rénovent et embellissent le splendide décor de leur bonheur, les fêtes succèdent aux dîners mondains, le duc plastronne en son palais et court les soirées parisiennes. Le 13 février 1820, lors d'un spectacle à l'Opéra, il meurt sous les coups de poignard d'un ouvrier. Son épouse, inconsolable, rentre à l'Élysée la robe tachée de sang et parcourt en larmes l'appartement de son époux, touchant ses habits, ses objets, ravivant des souvenirs entre les hoquets, avant de s'effondrer en pleurs au pied du lit de son mari décédé, défigurée, anéantie. Dans un geste émouvant, la jeune veuve coupe ses nattes pour les mettre dans le cercueil du défunt et refuse de rester un jour de plus dans ce palais du malheur, où tout lui rappelle le disparu.

Après les princes, vient le tour des présidents. Les poignards sont toujours aiguisés et visent cette fois le symbole de cette toute jeune IIIe République et les hommes qui la président depuis 1871. Le quatrième, Sadi Carnot, tombe en martyr laïque un jour de juin 1894, au cours d'une visite officielle à Lyon. Un anarchiste, nouveau fléau du régime, grimpe sur le landau présidentiel et, tel Ravaillac avec Henri IV, poignarde à mort l'infortuné chef d'État. Son corps, ramené à Paris, est exposé pendant quatre longs jours dans le salon de l'Hémicycle pour permettre aux Parisiens de venir lui rendre hommage. Le cortège funèbre, imposant et théâtral, franchit les grilles du porche pour rejoindre le Panthéon où Carnot est enterré parmi les grands hommes.

Cinq ans plus tard, nouveau décès à l'Élysée : la France apprend la disparition soudaine du brillant Félix Faure, mort à son bureau en raison du stress de la fonction, sa femme et sa fille à son chevet. Voilà pour la version officielle... En réalité, le bouillant président a succombé à une attaque cérébrale dans le salon d'Argent au moment même où sa maîtresse, que la presse surnommera plus tard "la pompe funèbre", lui prodigue un traitement spécial. Mais pas question de salir la fonction ! Le corps du président Faure est une nouvelle fois exposé à l'Élysée sur son lit mortuaire, encadré par des saint-cyriens, avant des obsèques nationales grandioses à Notre-Dame.

Mitterrand et les forces de l'esprit

Plus de trente ans plus tard, la série noire continue. Le président Paul Doumer est abattu de deux balles par un illuminé en mai 1932 lors d'une cérémonie officielle en plein Paris. Comme mû par une terrible prémonition, le chef d'État, élu un an plus tôt, semblait avoir lu dans les astres sa fin prochaine: "Je finirai assassiné !" avait-il confié à ses proches. Pour la troisième fois, un cadavre gît sous les lambris de l'Élysée, où près de cent cinquante mille Parisiens viennent lui rendre un dernier hommage. Le vieux président n'aura pas droit au Panthéon : sa veuve refuse de léguer son corps à la République. "Je vous l'ai donné toute sa vie, je veux au moins être avec lui dans la mort", exige-t-elle des officiels.

Une phrase qu'aurait pu prononcer Mme Pompidou face à l'abnégation de son mari, luttant contre un cancer du sang entre les murs du palais. La souffrance est quasi quotidienne pour le président mourant, bourré de cortisone pour atténuer les douleurs. Lors des réceptions, les regards se font plus aigus, on scrute le malade pour évaluer son état de santé. Pompidou fait front, espère guérir, plaisante parfois devant un visiteur : "Je dois ressembler à ce pauvre Mao, non ?" En mars 1974, il avoue à ses ministres passer "des moments bien difficiles" avant de rejoindre quelques jours plus tard son appartement du quai de Béthune, pour mourir en paix.

La maladie, une épreuve que connaîtra également François Mitterrand à l'Élysée. À peine élu, le président apprend l'existence de son cancer, qu'il n'est pas question de divulguer au grand public. "Je suis foutu...", déclare le leader socialiste. Il résistera pourtant plus de quatorze ans, aidé par le Dr Gubler, soumis au secret. Dans les dernières années, le président assume ses fonctions avec courage, essayant de maîtriser la douleur qui le ronge. Au coeur de cette ambiance crépusculaire, son vieil ami François de Grossouvre, parrain de Mazarine, tombé en disgrâce, choisit de se suicider dans son bureau en plein coeur du palais le 7 avril 1994, en se tirant une balle dans la tête avec son revolver, un 357 Magnum Manurhin. La fin tragique d'une amitié teintée de courtisanerie...

Pendant que les gardes républicains, affolés, parent au plus pressé, le président Mitterrand répète : "Je ne comprends pas, je ne comprends pas..." Il lui reste à peine deux ans à vivre, il le pressent, il le sait déjà. Le protocole s'allège, il délègue l'accessoire et aménage son bureau pour se reposer quand le mal se fait trop fort. La maladie et la mort l'obsèdent, il s'y prépare. Le 31 décembre 1994, au soir du nouvel an, les Français médusés entendront leur président leur confier sur les ondes : "Je crois aux forces de l'esprit, je ne vous quitterai pas." Les futurs locataires sont prévenus..



05/05/2012
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