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Ahmed Sékou Touré (1922-1984) : un symbole de l'émancipation africaine
15/02/2011 |
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Si Ahmed Sekou Touré reste un symbole de
cette Afrique qui a dit « non » à la France du Général de Gaulle, il est
avant tout pour nombre de Guinéens un dicateur
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Par
Hugo Breant | Ahmed Sékou Touré est né le 9 janvier 1922 à
Faranah, dans ce qui n’est encore qu’un village guinéen sur les rives
du Niger. Il est le cadet des huit enfants d’Alpha Touré et d’Aminata
Fadiga. Fils d’un modeste boucher, le jeune Ahmed fréquente l’école
coranique, l’école primaire de Faranah puis l’école régionale de
Kissidougou et celle de Conakry.
Après avoir obtenu son certificat d’études primaires dans la capitale,
il intègre l’école professionnelle Georges Poiret dont il est exclu à
cause de ses prises de positions nationalistes et anticolonialistes.
Ahmed Sékou Touré est alors contraint de multiplier les petits boulots
pour gagner sa vie. Il est ainsi engagé dans la Compagnie du Niger
français comme simple commis. Par la suite, il suit à distance une
formation de comptabilité.
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Nous disons non de manière catégorique à tout aménagement du régime colonial et à tout esprit paternaliste |
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Sékou Touré au général de Gaulle en 1958 |
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Un engagement précoce |
Élevé dans une famille modeste, Ahmed Sékou
Touré côtoie très tôt des groupes de jeunes militants
marxistes-léninistes guinéens et de communistes français à Conakry.
Puis, Sékou Touré s’investit dans des mouvements syndicaux. Simple
employé financier des Postes, Télégraphes et Téléphones dans un pays
sous domination coloniale française, il ne parvient pas à obtenir des
postes à responsabilité.
Il comprend très tôt que son engagement syndical pourrait lui permettre
de lier ses idées politiques à une éventuelle concrétisation de son
désir d’ascension sociale. En 1945, il participe alors à la fondation du
syndicat des travailleurs des PTT et en devient très rapidement
secrétaire général. |
Une ascension politique fulgurante |
En octobre 1946, à la suite du Congrès de
Bamako et sous l’impulsion de l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le
Rassemblement Démocratique Africain (RDA) est créé. Cette fédération de
partis politiques d’Afrique de l’Ouest, d’abord affiliée au seul parti
politique français présent à Bamako, le Parti Communiste Français, se
rapproche en 1950 de l’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance
(USDR) de René Pleven et François Mitterrand. En 1952, Ahmed Sékou
Touré devient président du Parti Démocratique de Guinée (PDG), l’antenne
locale du RDA.
En avril 1954, à la suite du décès du député socialiste Yacine Diallo,
une élection législative partielle est organisée. Le 27 juin, Sékou
Touré est battu au premier tour par le républicain-socialiste Barry
Diawadou. Le 2 janvier 1956, lors des élections législatives générales,
le député sortant du Bloc Africain guinéen est le seul réélu de son
parti. La liste de Sékou Touré, qui prône l’émancipation des populations
colonisées et la fédéralisation de l’Afrique noire, gagne quant à elle
deux sièges. Candidat du Sékou Touré est élu la même année mère de
Conakry.
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Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l'esclavage |
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Sékou Touré, 1958 |
Deux ans plus tard, il est nommé conseiller général de Guinée et
président de la Confédération Générale des Travailleurs d’Afrique noire,
la branche africaine de la CGT. En janvier 1956, il commence également à
siéger au Palais-Bourbon en tant que député au sein de l’Assemblée
nationale française. Il intègre alors la Commission parlementaire du
travail et de la sécurité sociale puis la Commission des Territoires
d’Outre-mer, vote la confiance à Guy Mollet et s’abstient lors du vote
du 12 mars 1956 qui accorde au gouvernement Mollet les pleins pouvoirs
pour rétablir l’ordre en Algérie. |
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Sékou Touré en couverture du magazine afro-américain ''Ebony'' de février 1960
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Lors des débats parlementaires, il se fait
le défenseur de l’égalité de traitement au sein des territoires de
l’Union française. Ainsi, en février 1956, il dépose un amendement
visant à généraliser la troisième semaine de congés payés aux
territoires d’Outre-mer. En mars, il s’oppose aux Sociétés indigènes de
prévoyance (SIP) auxquelles les agriculteurs sont obligés d’adhérer et
qu’il considère comme un impôt voilé. Il propose au contraire de créer
des coopératives volontaires.
Le 22 mars, il propose que les fonctionnaires de la métropole et des
territoires d’Outre-mer disposent de la même solde. Il milite également
pour que toutes les populations colonisées obtiennent rapidement une
pièce d’identité. La plupart du temps, il retire ses amendements après
avoir obtenu des garanties auprès des ministres. Même si, par probable
soumission à la discipline de vote imposée par le groupe parlementaire
de l’UDSR, il vote l’ensemble de la loi-cadre Defferre après s’être
opposé à des amendements finalement adoptés, il devient par la suite un
farouche opposant à cette loi. D’après lui, le morcellement de l’AOF et
de l’AEF ne visent qu’à empêcher l’unité africaine.
La réorganisation de l’AOF mène à de nouvelles élections pour les
assemblées territoriales en mars 1957. Le PDF de Sékou Touré obtient en
Guinée la majorité des voix. En mai, il est donc nommé au poste de
vice-président du Conseil de Gouvernement de Guinée avant d’en devenir
président en juillet 1958. Ahmed Sékou Touré développe alors son
programme dans plusieurs ouvrages publiés en 1958 : Guinée, prélude à l’indépendance édité par « Présence Africaine » et L’action politique du Parti Démocratique de Guinée pour l’émancipation africaine édité à Conakry.
Au Palais-Bourbon, il vote la fin de la Quatrième République et soutient
le projet de révision constitutionnelle. Même si le 1er juin, il ne
participe pas au vote d’investiture du Général de Gaulle, il vote le
lendemain les pleins pouvoirs au nouveau Gouvernement. |
L’homme qui a dit « non » |
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Sékou Touré et De Gaulle en 1958
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Les révisions constitutionnelles françaises
et le passage à la Cinquième République mène à un tournant dans les
relations entre la France et ses colonies. Le Général de Gaulle prévoit
que soit mise en place une communauté franco-africaine qui offrirait une
autonomie relative aux populations colonisées.
Alors que la France organise alors une série de référendums dans toutes
ses colonies d’Afrique de l’Ouest, Sékou Touré est le seul à faire
campagne pour le « non », synonyme de rupture avec l’ancienne colonie et
d’indépendance. Son parti, le PDG, y voit enfin une opportunité de
saisir l’indépendance totale pour laquelle il militait depuis longtemps
déjà. Fort du soutien des plus importantes personnalités politiques
guinéennes, et notamment de Barry Diawadou qui était pourtant un ancien
opposant politique, le PDG parvient à obtenir l’adhésion de la
population.
Le 25 août, le Général de Gaulle est pourtant accueilli chaleureusement à
Conakry. Mais Ahmed Sékou Touré et Saifoulaye Diallo en profitent pour
prononcer à nouveau des discours en faveur de l’indépendance. Le ton est
donné lorsque Sékou Touré annonce que les Guinéens préfèreront « vivre dans la pauvreté libre plutôt que riche dans l’esclavage ».
De Gaulle se rend alors compte que la Guinée est perdue. Le 28
septembre, les Guinéens refusent d’entrer dans cette communauté
franco-africaine et votent à plus de 95% en faveur du « non ».
L’indépendance de la République de Guinée est proclamée le 2 octobre
1958. |
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Sékou Touré et John Kennedy aux Etats-Unis au début des années 1960
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Le 15 janvier 1959, Ahmed Sékou Touré est
officiellement élu président de la République. Saifoulaye Diallo devient
quant à lui président de l’Assemblée nationale guinéenne. Très vite, la
France oppose son veto à l’entrée de la Guinée au sein des
Nations-Unies. Mais à la fin de l’année, la Guinée intègre l’ONU.
Devant les résistances de l’ancienne métropole, Sékou Touré se tourne
alors vers les pays soviétiques, vers la Chine et vers le Ghana de
Nkwame N’krumah. En 1960, Modibo Keïta, N’krumah et Sékou Touré fondent
l’Union des États d’Afrique de l’Ouest. En 1961, il reçoit le prix
Lénine pour la paix, l’équivalent du Prix Nobel dans le bloc soviétique.
Sékou Touré se lie également avec de nombreux mouvements
anticolonialistes. Il accueille ainsi en Guinée à plusieurs reprises des
membres de l’ANC, parmi lesquels Nelson Mandela. Il soutient le parti
indépendantiste de Guinée-Bissau et du Cap-Vert mené par Amilcar Lopes
Cabral et donne des passeports guinéens aux enfants de Patrice Lumumba
et à la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba. En 1973, alors que Cabral
et Sékou Touré discutaient d’un rapprochement au sein d’une Grande
Guinée, Sékou Touré est pourtant mis en cause dans la mort de Cabral et
fait disparaitre de nombreuses preuves. |
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Un chef d'Etat africain n'est pas un garçon nu qui fait la mendicité auprès de riches capitalistes |
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Sékou Touré cité dans Time Magazine, décembre 1963 |
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Un président autoritaire |
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Sékou Touré et Mao Tsé Tsoung le 12 septembre 1960
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Malgré sa renommée sur le plan
international, Ahmed Sékou Touré doit affronter des résistances internes
puissantes qui répondent à la fermeté du régime qu’il met en place.
Ainsi, dès 1960, le PDG devient le parti unique et la plupart des
opposants au nouveau régime socialiste sont arrêtés ou s’exilent. Sur le
plan économique, le président multiplie les nationalisations
d’entreprises étrangères.
Durant toute sa présidence, Sékou Touré craint de plus en plus les
complots. Il accuse tour à tour la France ou le Portugal. Et
effectivement, en 1970, le Front de Libération Nationale de Guinée
soutenu par le Portugal tente un renversement. Un tribunal populaire est
mis en place pour juger les auteurs de ce complot. Plusieurs leaders
civils et militaires sont tués ou enfermés dans le camp Mamadou Boiro,
où près de 50 000 personnes seraient mortes durant tout le règne de
Sékou Touré. La radicalisation du régime est à son comble.
Ce n’est finalement qu’avec la visite du président Valéry Giscard
d’Estaing en Guinée en 1976 et la visite d’Ahmed Sékou Touré en France
en 1982 que les relations s’apaisent avec la France. La même année,
Sékou Touré effectue une visite aux États-Unis et officialise son
rapprochement avec les puissances occidentales. Il se lie ainsi d’amitié
avec l’héritier de l’industriel Rockefeller. |
Ahmed Sékou Touré meurt finalement le 26
mars 1984, à Cleveland où il préparait une conférence de l’Organisation
de l’Unité Africaine qui devait se tenir à Conakry. Son corps repose
aujourd’hui à Conakry, au sein du mausolée des héros, près de Samory
Touré et de Saifoulaye Diallo.
Pris dans l’étau de la décolonisation et des jeux d’alliances
successives, Ahmed Sékou Touré laisse une image contrastée. S’il est
avant tout un syndicaliste engagé et un leader anticolonial incontesté
pour certains, pour d’autres, ses idéaux communistes sont loin d’être
attestés et son désir d’obtenir divers soutiens ou sa peur panique d’un
renversement militaire l’ont poussé à museler l’opposition et à
instaurer un régime socialiste autoritaire. |