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A-t-on le droit de remettre en question le 11-Septembre ?

Un article d’Amandine Schmitt
A-t-on le droit de remettre en question le 11-Septembre ?
Malgré l’émotion que provoque un attentat, on aime à trouver des responsables. Pour le 11-Septembre, les circonstances demeurent obscures. Mais impossible d’en débattre : les rares personnes qui ont contesté la version officielle ont été fustigées, jusqu’à être traitées de complotistes, d’anti-israéliens, voire de nazis.
7 décembre 2011

Attentats à la bombe du
11 mars 2004 à Madrid

"S’il fallait un exemple de la stupidité des théories du complot, l’Espagne en est l’illustration." Le mardi 13 avril 2004, Daniel Leconte introduit le sujet d’une soirée "Thema" intitulée "De quoi j’me mêle : Tous manipulés ?" Le ton est donné. Ce soir, Arte présente deux documentaires. Daniel Leconte s’appuie sur les ratés de l’enquête du gouvernement Aznar, au lendemain des attentats du 11 mars 2004 à Madrid, pour décrypter le schéma de pensée des adeptes des complots.

"Ce genre d’exemple devrait suffire à décourager les tenants d’une vision conspirationniste, poursuit-il. Mais ce n’est pas le cas. Tout simplement parce que la réalité ne compte pas pour eux. Ce qui compte à leurs yeux, c’est une vision a priori du monde, un bricolage idéologique où se mélangent, pêle-mêle, une détestation de l’univers démocratique, une conception policière de l’histoire et une culture systématique de l’excuse au bénéfice de tous les dictateurs de la planète qui ont déclaré la guerre à l’Occident."

Les mots sont durs, blessants. Imaginons un instant que Daniel Leconte emploie la même rhétorique pour introduire un sujet sur les chrétiens, les musulmans ou les juifs : "S’il fallait un exemple de la stupidité des croyances religieuses, les guerres en sont l’illustration. Ce genre d’exemple devrait suffire à décourager les tenants d’une vision spirituelle. Mais ce n’est pas le cas. Tout simplement parce que la réalité ne compte pas pour eux. Ce qui compte à leurs yeux, c’est une vision a priori du monde, un bricolage religieux où se mélangent, pêle-mêle, une détestation de l’infidèle, une conception absurde de la création du monde et une culture systématique de l’excuse au bénéfice de tous les dictateurs de la planète qui agissent au nom de Dieu." Les croyants seraient choqués, révoltés, humiliés. Daniel Leconte serait sans doute renvoyé sur-le-champ. En lieu et place de l’argumentation, l’insulte, les procès d’intention et les amalgames sont pourtant des armes de destruction massive fréquemment utilisées dans les médias.

L’insulte plutôt que l’argumentation

Le World Trade Center
le 11 septembre 2001

Ces attaques répétées, dictées par un schéma de pensée dépassé, justifient la défiance des conspirationnistes à l’égard des médias. Depuis le passage de Thierry Meyssan en 2002 chez Ardisson jusqu’aux déclarations de Marion Cotillard dans une émission de Paris Première, toutes les personnalités qui osent contester la version officielle du 11-Septembre sont disqualifiées, voire insultées. La question n’est pas de savoir s’ils ont tort ou raison, mais de comprendre pourquoi nous sommes incapables de répondre à leurs arguments autrement que par l’anathème.

Invité dans l’émission "Ce soir (ou jamais !)", Mathieu Kassovitz a été lui aussi l’objet d’attaques véhémentes. Son tort ? Estimer que la version officielle des attentats du 11 septembre 2001 est "obligatoirement questionnable". Ses propos restent pourtant bien prudents : "Il faut absolument se poser la question. Le problème, c’est que les réponses n’ont pas été données par les commissions officielles américaines. À des réponses simples, de physique, de chimie, d’ingénierie… je ne parle pas de complots ou de choses comme ça car on n’en est pas là pour l’instant."

Les jours suivants, plusieurs organes de presse se déchaînent. Renaud Revel compare Mathieu Kassovitz à l’historien révisionniste Robert Faurisson. Lilian Massoulier, sur le site Internet du Journal du dimanche, titre : "Kassovitz redonne des couleurs à Gœbbels". Sur France 5, dans l’émission C à vous, les chroniqueurs Nathalie Levy et Nicolas Poincaré s’énervent à leur tour et tournent l’acteur en dérision.

"Mathieu Kassovitz considère qu’il fait l’objet d’outrages d’une exceptionnelle gravité qui portent douloureusement atteinte à sa réputation, à son honneur et au-delà à sa famille dont il rappelle qu’une grande partie a disparu dans les camps de concentration nazis", répond quelques jours plus tard l’avocat du réalisateur, en annonçant le dépôt de plaintes pour diffamation.

Roland Dumas serait-il fou ?

Roland Dumas n’a pas échappé lui non plus aux critiques hautaines et insultantes. Invité sur France 3, il s’interroge sur la politique américaine en Afghanistan : "Pourquoi l’Occident s’acharne-t-il à aller dans des pays où il n’y a rien à faire ? Qu’est-ce que la force américaine est allée faire en Afghanistan ? Elle a trouvé la source du terrorisme ?" Présente sur le plateau, Thérèse Delpech, spécialiste en affaires stratégiques, l’interrompt : "Il y a quelque chose qui s’appelle le 11-Septembre, quand même !"– "Moi, je vous dirai ce que je pense sur le 11-Septembre, je n’y crois pas !" rétorque aussitôt l’ancien ministre avant d’être coupé par l’animateur qui lui demande de rester dans le sujet.

Sur son blog, Guy Sorman revient dès le lendemain sur les propos de Roland Dumas : "Roland Dumas confirmait la thèse du complot avec quelque obsession anti-israélienne, caractéristique de la grande bourgeoisie de gauche. Roland Dumas ajouta à ses élucubrations complotistes un épisode supplémentaire : les deux agressions perpétrées cette année contre les Sud-Coréens, un bateau coulé et une île bombardée, ne seraient pas l’œuvre des Nord-Coréens. [...] En fait, il est impossible de débattre avec un ’complotiste’ car les adeptes de ce culte ne sont pas réceptifs aux arguments : ils estiment appartenir à une caste d’initiés à la manière des gnostiques en théologie. Aucun fait avéré ne pourrait ébranler les certitudes de ceux qui imaginent voir au-delà du réel." Fin du deuxième épisode. La condescendance et l’accusation antisémitisme, une fois encore. Le débat semble impossible, c’est vrai, mais à qui la faute ?

Trois jours plus tard, le 21 décembre 2010, dans un entretien filmé, Roland Dumas répond à Guy Sorman sur l’accusation de théoricien du complot : "C’est une expression qui lui appartient, je ne sais pas comment il justifie cela. S’il veut dire que j’explicite quelque chose qui ressemblerait à une machine d’un complot, pourquoi pas ! Je suis comme tout le monde. Mais je ne vois pas pourquoi il y aurait une opprobre à cette explication du fait que, simplement, quelqu’un réfléchit avec sa tête et son bon sens."

Sur un ton posé, Roland Dumas réitère ses doutes concernant la version officielle sur le 11-Septembre : "Je connais la théorie officielle, c’est-à-dire celle de l’État américain, et je connais aussi les théories qui ont été échafaudées et présentées par des professeurs d’université et par les spécialistes. Et, donc, ça fait une controverse. Vous savez que le propre de toutes les controverses, c’est qu’il y a des arguments d’un côté, des arguments de l’autre. […] Cet événement, d’une exceptionnelle gravité, mérite, justement en raison de son exceptionnelle gravité, qu’on en discute. […] Je n’ai pas trouvé de traces, dans ce que j’ai lu, d’une implication formelle d’Al-Qaida. Tout est possible. […] J’ai simplement un doute sur des choses inexpliquées et inexplicables. Il faudrait reprendre le processus et approfondir. […] Il pourrait y avoir une enquête internationale, avec des experts, des gens spécialisés, bien équilibrée, qui dirait la vérité." Fin du troisième épisode.

S’agit-il vraiment d’élucubrations complotistes, d’un discours traduisant une obsession anti-israélienne et de certitudes mystiques inébranlables qui fermeraient la porte à tout débat ? Peut-on vraiment qualifier de théoricien du complot quelqu’un qui revendique le droit de douter et qui suggère simplement la création d’une commission d’enquête internationale indépendante pour faire toute la lumière sur les attentats de 2001 ?

Un dialogue de sourds depuis dix ans

Marion Cotillard
Comment s’étonner ensuite de la violence des réactions des militants du Mouvement pour la vérité ? En mars 2008, la rédaction de Marianne2 choisit de consacrer un long article, non signé, pour se plaindre des attaques dont elle est la cible depuis la parution sur son site, trois jours plus tôt, d’un court papier au vitriol sur les propos de Marion Cotillard.

"Marianne2 a été littéralement pris d’assaut par des adeptes de Thierry Meyssan qui ont déversé leur haine et un flot de calomnies", se plaignent-ils après avoir comptabilisé plus de cinq cent cinquante commentaires d’internautes en colère. Et de conclure, après avoir pris soin de les associer aux lecteurs de National Hebdo : "En 2008, il y a des gens qui, bien à l’abri derrière leur petit écran, prisonniers de leur peur panique du complot, ne craignent pas d’employer les moyens les plus bas pour défendre la forteresse assiégée de leurs illusions. Manifestement, ils ne craignent pas le ridicule non plus."

L’auteur de l’article, comme beaucoup de ses confrères de la presse écrite, de la radio ou de la télé, n’a pas compris que Marion Cotillard incarne justement une nouvelle forme de conspirationnisme ordinaire, sans autre arrière-pensée que de croire qu’on ne nous dit pas tout. Le débat restera impossible tant que nous nous obstinerons, nous journalistes, à regarder ces nouveaux "croyants" avec morgue et suffisance.

Réduire les conspirationnistes à des marginaux, des illuminés ou des extrémistes constitue une erreur d’appréciation héritée d’une vision archaïque. Les faux Protocoles des sages de Sion sont aujourd’hui largement inconnus du grand public et des dizaines de millions d’internautes qui ont regardé la vidéo Loose Change. Les centaines de milliers de lecteurs qui ont dévoré le livre de Claude Allègre sur l’imposture climatique, dénonçant un complot scientifico-écologique mondial, avéré ou non, n’ont rien en commun avec les cercles extrémistes qui diffusaient au siècle dernier leurs thèses idéologiques sur l’existence d’un complot franc-maçon qui dirigerait le monde en sous-main. Il est enfin difficile de croire que les 57 % de Français qui considéraient en mai dernier que Dominique Strauss Kahn était "victime d’un complot" sont pas tous bons pour l’asile.

Au lieu de taper à bras raccourcis sur les millions de personnes qui remettent en question les vérités officielles, intéressons-nous plutôt à l’impact produit sur l’opinion publique par la révélation de complots avérés. Pour ne prendre qu’un exemple, comment croire que les mensonges avérés de l’administration Bush sur les prétendues armes de destructions massives en Irak ne soient pas sans effets sur la montée en puissance des théories du complot post-11 septembre ?

Ne partons pas du postulat que ceux qui croient aux complots sont des illuminés, penchons-nous au contraire sur les mensonges organisés et les manipulations reconnues pour essayer de comprendre comment chacun d’entre nous peut être amené, de bonne foi, à cesser de croire la parole officielle pour emprunter des voies d’interprétation détournées. "Quand le sage désigne la Lune, l’idiot regarde le doigt." Tentons de regarder dans la bonne direction, de nous intéresser à la Lune, et aussi à sa face cachée.

Sélectionné et édité par Amandine Schmitt
leplus.nouvelobs.com, 087décembre 2011.



07/12/2011
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