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Qu’est-ce que Khadafi aurait dit à Wade s’il vivait jusqu’à ce jour ?

 

 

 
 

 

Sous un climat de tension farouchement entretenu par de nombreux foyers de contestation, le président sénégalais s’était rendu à Benghazi pour y rencontrer le Conseil national de transition (CNT), l’autorité politique de transition créée à l'occasion de la révolte libyenne le 27 février 2011, pour coordonner les différentes villes basculées sous le contrôle des insurgés et conduire le combat contre le régime de la Jamahiriya arabe libyenne dirigé par le défunt président Mouammar Khadafi. Le motif officiel de ce voyage, semble-t-il, était de servir un message de paix au colonel Khadafi. Beaucoup de sources stipulaient qu’il agissait sous recommandation du président français Nicolas Sarkozi qui, de toute évidence, a plusieurs intérêts à sauvegarder en terre africaine de la Libye. Mais cela n’est pas le plus important.

Clairement, Wade demandait au défunt président libyen de quitter le pouvoir sous le prétexte que son peuple s’est levé pour dire « Assez ! ». « C'est dans votre propre intérêt et dans l'intérêt de tout le peuple libyen que vous quittiez le pouvoir et ne pensiez plus jamais à le reprendre » martelait-il au colonel Mouammar Khadafi. Il ajoutait : « je suis l'un de ceux qui peuvent vous aider à sortir de la vie politique, et le plus tôt sera le mieux, afin d'épargner des vies libyennes ».

L’urgence n’est plus aujourd’hui de sauver des vies libyennes puisque le colonel s’en est allé, à jamais. C’est plutôt de la vie des sénégalais qu’il s’agit : les vies libyennes valent-elles plus chères que celles des Sénégalais au regard de leur président ? Qu’est-ce que Khadafi aurait pu lui dire à présent que le front politique et social est en ébullition au Sénégal ?

En arabe ou via un interprète, le guide de la révolution libyenne aurait pu ironiquement lui rappeler qu’en Libye, c’était davantage des rebelles que le peuple qui se sont insurgés. Or, c’est manifestement le contraire qui se passe aujourd’hui au Sénégal.

Il aurait pu lui dire que la population libyenne ne demandait essentiellement qu’à avoir droit au chapitre, soit davantage de liberté qui allait la conduire vers une perte perceptible aujourd’hui de plus en plus. Or, si au Sénégal la population bénéficie de la liberté d’opinion, elle n’est pas du tout à l’abri de la pauvreté et de la misère. Les Sénégalais sont fatigués de ne pas pouvoir manger à satiété, se soigner convenablement, éduquer leur progéniture comme ils veulent et les mettre au travail.

Il aurait pu lui rappeler que même dans son pays qui dispose d’immenses richesses naturelles, il a toujours été nécessaire de sauvegarder le caractère sacré des vertus de base. Or, au Sénégal les vertus ont été corrompues par une classe politique en divagation qui tient en otage tout un peuple dont une grande partie de ses membres ne croient plus aux valeurs cardinales dont la loyauté, l’honnêteté, la patience, la bravoure, la piété, la dignité, le respect de soi et des autres, le travail. La musique les berce, l’argent les oblige, le sexe les abuse et la lutte les amuse. Que devient une jeunesse insoucieusement exposée à toutes ces dérives ?

Il aurait pu lui signifier qu’il avait beaucoup fait pour son pays, même s’il est loin d’être exempt de reproches. Pourtant, ce que le monde retient de lui aujourd’hui est l’image d’un dictateur ignoble. L’image d’un fugitif violemment extirpé d’un trou d’égouts et copieusement molesté par une foule en furie qui réclamait sa tête depuis un certain temps.

Il aurait pu lui faire comprendre qu’il avait promu des valeurs liées au travail au point de garantir une dignité à ceux qui n’ont pas d’emploi. On se souvient qu’en Libye, même les chômeurs avaient droit à un salaire mensuel décent. À l’apposé, la majorité des jeunes sénégalais, y compris ceux fortement diplômés, sont des chômeurs avilis qui ne bénéficient d’aucune assistance de la part leur Etat. Or, au Sénégal, les mœurs sont tellement perverties que même la cellule familiale de base n’accorde plus aucune considération à ses membres qui n’ont pas de travail.

Il aurait également pu attirer son attention sur le fait que le motif le plus idiot qui pousse un Etat à la résistance face à son peuple est l’espoir de pouvoir survivre et conserver ses prérogatives. Mohammed Hosni Moubarak y croyait face à la vague de protestation qui déferlait à la place Tahrir. Zine Al Abidine Ben Ali y avait cru face aux mouvements de la foule amassée au lieu emblématique de la Khasba qui a accueilli la révolution dite « du jasmin ». Le président libyen lui-même pensait pouvoir préserver les rênes de son pouvoir malgré la résistance des troupes du CNT galvanisées par l’appui musclé des forces dévastatrices de l’OTAN.

Il aurait pu l’entretenir de ce que vaut le pouvoir comparativement à une perspective de déchéance et de mort atroce qui constitue le sort inéluctable de tout dirigeant qui brave la volonté populaire. « L'obstination ou ardeur d'opinion est la plus sûre preuve de bêtise : est-il rien certain, résolu, dédaigneux, contemplatif, grave, sérieux, comme l'âne ? » se demandait Michel de Montaigne. Quelle laideur que de se sédimenter dans un pouvoir alors que l’on n’a plus rien à offrir à son peuple en dehors d’un mépris orgueilleux !

Le président sénégalais avait suggéré à Khadafi d’accepter de quitter le pouvoir et de partir paisiblement sous la garantie qu’aucune poursuite judiciaire ne serait lancée contre lui et les membres de sa famille. Le président libyen ne lui aurait-il pas rétorqué les mêmes propos ? Qu’il dise ses conditions de libération du pouvoir et qu’il parte !

Plusieurs faits et facteurs lui auraient certainement donné raison, mais l’âge du président est sans doute le plus remarquable. Il a atteint un âge canonique où, selon certains savants doctes de l’islam, Dieu Lui-même est indulgent en son égard. Mais qui connaît cet homme sait qu’il n’est pas de nature à céder sous la pression sociale, aussi farouche qu’elle soit. Non seulement il est réputé têtu, mais il est engoncé dans un carcan par une bande de profiteurs qui assimilent le départ du vieux président au déclic de leur propre déchéance.

Enfin, le colonel Kadhafi aurait pu l’avertir et lui rappeler les conséquences de son entêtement démesuré à rester à Tripoli. « Nous n'avons qu'un seul choix : nous resterons sur notre terre mort ou vif. Nous vaincrons nos ennemis, cette bataille nous a été imposée » disait-il. Il a livré la bataille, il n’a pas survécu. Outre-tombe, le colonel n’a plus qu’à lui susurrer les mots de Florence Nightingale qui croyait qu’une certaine dose de stupidité est nécessaire pour faire un bon soldat. Le Général Olesegun Obasanjo pourra-t-il alors sauver le soldat Wade ?

Ibrahima Sylla
Enseignant-Chercheur
UCAD.



23/02/2012
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