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Les droits bafoués des salariés étrangers sans papiers


Selon Hervé Guichaoua, juriste en droit social, la France a «vidé de son sens» la directive européenne censée protéger les salariés étrangers sans papiers: «Les seuls gagnants sont les employeurs, entreprises et particuliers, adeptes de l'esclavage moderne et les donneurs d'ordre qui les utilisent».

 

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Quelle déception et quelle occasion manquée! La dernière loi sur l'immigration du 16 juin 2011 se donnait notamment pour objectif de transposer dans le code du travail les dispositions de la directive européenne du 18 juin 2009 instituant des sanctions minimales contre les employeurs de salariés étrangers sans papiers. S'agissant plus particulièrement du paiement des rémunérations de ces salariés, les objectifs de la directive sont pourtant clairs et sans ambiguïté. Son article 6 demande aux Etats de l'Union européenne, d'une part de s'assurer que tous les employeurs, sans aucune exclusion, de salariés étrangers sans papiers soient tenus de verser les rémunérations qu'ils leur doivent et d'autre part de mettre en place des mécanismes permettant aux salariés étrangers sans papiers, sans aucune exclusion également, de percevoir effectivement leur rémunération. C'est bien la moindre des choses en effet que l'employeur paie celui qu'il fait travailler.

La loi du 16 juin 2011, et son décret d'application du 30 novembre, ont complètement vidé de son sens ces exigences minimales communautaires, par une rédaction quasi incompréhensible du Code du travail, par une limitation considérable à la fois des entreprises soumises à ces nouvelles dispositions communautaires et du nombre de salariés étrangers sans papiers pouvant en bénéficier et enfin en faisant reposer le paiement des salaires sur l'intervention préalable des services de contrôle de l'Etat (inspection du travail, police...) et sur la bonne volonté des employeurs délinquants.

La loi commence par octroyer un délai de trente jours aux employeurs indélicats pour payer les salaires et les indemnités des étrangers sans papier. Pourquoi accorder une telle faveur et un délai de paiement spécifique et surtout aussi long à des employeurs qui ne respectent pas la loi, alors qu'il existe déjà dans le Code du travail une disposition qui oblige tous les autres employeurs à verser périodiquement les salaires au minimum à la quinzaine pour cette catégorie de salariés non mensualisés? Ces trente jours sont par ailleurs largement suffisants pour permettre à ces entreprises peu scrupuleuses de disparaître ou d'organiser leur insolvabilité et à l'Etat pour reconduire à la frontière ces salariés. Ce moratoire légal particulièrement bienveillant pour des entreprises en marge de la légalité a aussi pour conséquence d'empêcher ces salariés, pendant ce délai de trente jours, de saisir le conseil de prud'hommes, notamment en référé, ce qui est totalement incompréhensible et très pénalisant.

Pis, la loi du 16 juin 2011 précise que ce délai de paiement de trente jours court à compter de la constatation de l'infraction. Comprenne qui pourra de la lecture de cette disposition lapidaire et très originale, mais désormais inscrite dans le Code du travail. En France, le paiement des rémunérations des salariés n'a jamais été bien entendu conditionné à une intervention préalable des services de contrôle de l'Etat (inspection du travail notamment), et encore moins, à la constatation d'une infraction quelconque par ces mêmes services. Heureusement, sinon, peu de salariés seraient payés. Pourquoi cette surprenante et inutile condition? On mélange complètement les genres en remettant en cause les fondamentaux du droit du travail et du contrat: l'obligation de verser le salaire résulte uniquement de la fourniture d'un travail par le salarié, pas de contrôles éventuels et a posteriori de l'administration.

Mais du coup, est-ce à dire, par exemple, que les entreprises qui ne font pas l'objet de contrôle, et donc pas de constat d'infraction, et qui sont de loin les plus nombreuses, ne sont pas tenues de payer les salaires des salariés étrangers sans papiers? La nouvelle rédaction du Code du travail conduit hélas à cette conclusion extravagante; sinon, que signifierait cette référence à un constat nécessaire préalable d'infraction? Quelle aubaine pour l'immense majorité des employeurs délinquants qui ne sont pas contrôlés et verbalisés. En effet, en 2009, seules 2.257 infractions d'emploi d'étrangers sans titre ont été constatées par les services de contrôle de l'Etat. Dernière précision de taille: les nombreux salariés étrangers sans papiers travaillant sur des emplois domestiques ou familiaux ne pourront pas bénéficier non plus de cette loi car les services de contrôle de l'Etat n'interviennent pas et ne font pas de constat au domicile des particuliers employeurs. Quelle régression pour le droit du travail et les salariés.

De surcroît, contrairement à la directive communautaire qui demande d'assurer la garantie du paiement des salaires de tous les étrangers employés sans papiers, la loi du 16 juin 2011 s'est limitée, et c'est sans doute le plus grave, à traiter uniquement la situation des salariés qui font l'objet d'une mesure de rétention administrative, d'assignation à résidence ou qui ont quitté la France, ce qui ne représente là aussi qu'une infime partie de tous ceux qui sont employés irrégulièrement dans notre pays. En effet, le nombre de salariés étrangers travaillant sans titre est estimé entre 200.000 et 400.000 personnes. Or, seules 28.000 personnes (dont la majorité ne sont d'ailleurs pas des salariés sans titre contrôlés en situation de travail puisque seulement 2.257 infractions d'emploi d'étranger sans titre ont été relevées en 2009) ont été reconduites à la frontière en 2010.

Pourquoi cette discrimination et cette exclusion drastique de l'immense majorité des salariés étrangers employés sans titre, ce qui est contraire à la directive du 18 juin 2009? La loi a donc créé deux catégories de salariés étrangers sans titre. Quels sont alors les droits de tous les autres étrangers sans papiers qui travaillent dans les entreprises qui ne sont pas contrôlées ou qui travaillent dans celles qui sont contrôlées mais qui ne font pas l'objet de procédures administratives d'assignation ou d'éloignement, notamment lorsque l'inspection du travail intervient seule, ce qui est le cas le plus fréquent? En résumé donc, pas de reconduite, pas de salaire et d'indemnités, en faisant prévaloir la police des étrangers sur l'effectivité du droit du travail qui devient une préoccupation secondaire.

Pour le très petit nombre d'entreprises et de sans papiers à qui la loi va peut-être s'appliquer de façon sélective, c'est-à-dire pour les seuls reconduits et assignés qui étaient en situation de travail au moment d'un contrôle, les employeurs sont invités, de façon très angélique, à verser, après ces trente jours d'attente vaine mais généreusement accordée, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) les salaires qu'ils n'auraient pas pu ou voulu régler personnellement et spontanément. Là encore, la nouvelle loi leur donne un nouveau délai de trente jours supplémentaires pour s'exécuter, soit au total soixante jours, au lieu des quinze jours normalement prévus par le Code du travail. Quelle bienveillance. Et s'ils ne versent rien à l'OFII, aucune sanction particulière n'est prévue à leur encontre.

Dès lors, on voit mal pourquoi ces employeurs délinquants verseraient gentiment à un organisme parisien qui leur est totalement inconnu ce qu'ils n'ont pas payé directement à leurs propres salariés. Certes, la loi a prévu que, dans ce cas, l'OFII recouvre les rémunérations auprès des employeurs concernés pour les reverser aux salariés. Mais ce mécanisme, véritable usine à contentieux, n'aura aucune efficacité à l'égard des entreprises qui emploient habituellement des sans papiers (confection, bâtiment, restauration, gardiennage...) car elles disparaissent dès le premier contrôle ou se mettent en liquidation judiciaire. Quels sont alors les droits des salariés si l'OFII ne recouvre rien, ce qui sera souvent le cas? Ils auront attendus plusieurs mois en pure perte.

Et pour celles qui n'auront pas disparu, un contentieux bien mitonné devant les juridictions administratives leur permettra de tenir très longtemps, voire plusieurs années, avant de devoir payer l'OFII. Pendant tout ce temps, les salariés sans papiers ne seront pas non plus payés. L'OFII pourra effectivement s'adresser directement aux donneurs d'ordre de ces employeurs, lorsqu'ils existent, ce qui n'est pas le cas par exemple dans la restauration. Mais dans cette hypothèse, le risque de contentieux interminable est encore bien plus réel.

L'OFII va-t-il également délivrer les bulletins de salaire, les certificats de travail? Sinon, qui le fera si l'employeur est également défaillant? Va-t-il payer les cotisations et contributions sociales à la Sécurité sociale et aux caisses de congés payés? A priori non, car l'OFII ne tentera de recouvrir que les sommes dues aux salariés étrangers et la loi n'a pas prévu de liaison entre cet organisme et l'Urssaf ou les caisses de congés payés. En cas de procédure collective, l'OFII pourra-t-il présenter ces créances à l'assurance de garantie des salaires? Rien n'est dit. Est-ce que ce mécanisme permet cependant aux salariés ou aux syndicats de saisir parallèlement le conseil de prud'hommes? Et mille autres questions et difficultés susceptibles de rendre totalement inopérante la transposition déjà minimaliste en France de la directive du 18 juin 2009. Belle mystification sociale. La loi du 16 juin 2011 n'assure pas la protection des droits sociaux et pécuniaires des salariés étrangers sans papiesr.

Pourquoi un tel gâchis dans la transposition de cette directive? Des dizaines de milliers de salariés sont pourtant concernés. Les seuls gagnants sont les employeurs, entreprises et particuliers, adeptes de l'esclavage moderne et les donneurs d'ordre qui les utilisent. Ils n'ont pas grand-chose à craindre d'un tel dispositif. La loi n'apporte aucune amélioration significative à la situation antérieure des salariés étrangers sans papiers qui ne seront toujours pas remplis de leurs droits. En clair, ces employeurs vont continuer à les faire travailler quasi gratuitement, en les soumettant de surcroît à de très mauvaises conditions de travail. Ce type de fraude à l'emploi des salariés les plus précaires dans le monde du travail ne va donc pas s'arrêter de sitôt.

Il faut en réalité totalement repenser la logique et les mécanismes de la protection des droits sociaux et pécuniaires de tous les salariés sans papiers, sans exception, avec l'objectif de verser effectivement et très rapidement ce qui leur est dû ainsi que les cotisations et contributions sociales. La crédibilité et l'efficacité de la lutte contre le travail illégal passe aussi par cette justice sociale élémentaire.




28/12/2011
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