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François Hollande : « Le regard français sur l’Afrique doit changer »

               

Dans une interview exclusive, François Hollande candidat du Parti socialiste à l’élection présidentielle française, affirme une vision novatrice des relations entre la France et l’Afrique. Selon lui, « le temps du paternalisme et de la condescendance est derrière nous » et il faut, dès demain, avoir « des relations avec l’Afrique entre égaux, entre partenaires de même rang ».

Nicolas Sarkozy vous reproche votre « manque d’envergure internationale » et dans votre dernier livre, l’Afrique est bien peu présente. Qu’est ce que l’Afrique évoque pour vous et quels sont vos rapports avec ce continent ?
François Hollande :
L’Afrique est pour moi un continent d’avenir. Je ne sous-estime pas l’ampleur des défis à surmonter, mais je crois dans le potentiel de ce continent, dans son dynamisme, dans sa jeunesse. La dernière décennie a d’ailleurs permis un redémarrage économique, après une vingtaine d’années plus difficiles. Vous m’interrogez aussi sur mes liens personnels avec le continent. Lorsque j’étais Premier secrétaire du parti socialiste, comme aujourd’hui candidat à l’élection présidentielle, j’ai toujours été engagé aux côtés de ceux qui se battent pour l’instauration de la démocratie et la défense des droits humains sur le continent : je continuerai demain à le faire.

Selon la Banque mondiale et le FMI, au cours des quinze prochaines années, la croissance annuelle des pays africains sera supérieure à 5% par an. Dans les pays occidentaux, les prévisions son plutôt moroses. Cela ne doit-il pas modifier le regard que la France porte sur l’Afrique ?
François Hollande :
Vous avez raison de dire que la croissance économique en Afrique devrait être relativement élevée dans les prochaines années, comme elle l’est d’ailleurs depuis dix ans. Cela reste toutefois insuffisant au regard de la croissance démographique. Les inégalités restent aussi trop lourdes. Je n’ai pas l’intention de diminuer l’effort de solidarité internationale de la France, bien au contraire. Dans le même temps, le regard français sur l’Afrique doit changer. Le temps du paternalisme et de la condescendance est derrière nous. Nous aurons demain des relations avec l’Afrique entre égaux, entre partenaires de même rang. L’ Afrique doit être respectée et considérée comme un acteur de premier plan. Concernant la France et l’Europe, il est vrai que la situation économique du continent n’est pas satisfaisante. C’est pourquoi j’ai placé au cœur de ma campagne, la relance de la croissance européenne pour créer des emplois, en investissant dans la préparation de l’avenir. Je constate avec satisfaction que cette idée progresse rapidement en Europe, mais aussi auprès de nos partenaires internationaux qui attendent que l’Europe prenne sa part de la reprise mondiale.

Votre conseiller en matière de droits de l’Homme, William Bourdon, est aussi un des fondateurs de Sherpa, l’association à l’origine de l’action en justice contre plusieurs présidents africains (ndlr : Denis Sassou Nguesso du Congo, Teodoro Obiang Nguema de la Guinée équatoriale et le défunt Président gabonais Omar Bongo Ondimba) dans le cadre de l’affaire dit des "biens mal acquis". Cela signifie-t-il que si vous êtes élu président de la République, la France serait moins conciliante envers ces chefs d’Etats africains ?
François Hollande :
Si je suis élu président de la République, je serai le garant de l’indépendance de la justice. Je prends donc l’engagement de ne jamais faire obstruction à des affaires judiciaires en cours. Je crois aussi dans les vertus de la transparence. C’est pour moi un gage de modernité et de démocratie. C’est pourquoi je me réjouis de la campagne "Publiez ce que vous payez", mais aussi de l’Initiative sur la transparence des industries extractives et des projets visant à ce que les grandes entreprises publient leurs comptes détaillés par pays. L’opacité des flux financiers, en Afrique comme en Europe, est à l’origine de pertes fiscales importantes pour nos deux continents. Nous devons mieux réguler l’activité des multinationales afin de nous assurer qu’elles respectent bien la législation fiscale de chaque pays, mais aussi que les fonds versés à tel ou tel Etat atteignent bien les caisses du trésor national.

 Les pays africains sont des pays dont la population est jeune et cette jeunesse ne supporte plus les relations incestueuses générées par la Françafrique. Comment pensez-vous redorer l’image de la France auprès de ces jeunes Africains, notamment dans les pays francophones ?
François Hollande :
Je crois en effet, comme beaucoup d’Africains, que la "Françafrique" doit disparaître. Je m’engage par exemple à ce que disparaissent les fameuses « officines », et à n’avoir qu’une seule politique, confiée à notre diplomatie et seulement à celle-ci. Il me semble aussi que la France doit travailler davantage avec l’Union africaine, en particulier pour la résolution des conflits armés ou des crises politiques. Nous devons donc renforcer notre partenariat avec l’UA, mais aussi avec les organisations sous-régionales, dont la légitimité est précieuse lorsqu’une intervention devient nécessaire. En matière de migrations, il est évident que le quinquennat qui s’achève a nui à l’image de la France, par une politique des visas souvent humiliante, des situations traitées aléatoirement, des droits rognés. Redorer l’image de la France passera donc aussi par une nouvelle politique migratoire, ferme contre l’immigration irrégulière mais juste et sécurisante pour l’immigration légale. En ce qui concerne l’immigration économique, j’ai proposé qu’un débat parlementaire permette de définir les orientations liées aux besoins de notre économie, après concertation avec les acteurs concernés. En outre, les étudiants étrangers constituent une chance et je rejette totalement le principe de la circulaire du ministre de l’Intérieur, qui vise à rejeter ces forces vives. Les étudiants étrangers sont, pourtant, les meilleurs ambassadeurs de la France dans le monde. La France doit attirer et accueillir les talents. Je retirerai donc cette circulaire.

 Nicolas Sarkozy avait fait beaucoup pour l’image de la « diversité » en nommant des exemples issus de l’immigration à des postes importants de son gouvernement : Rama Yade, Rachida Dati, Fadela Amara …. Si vous étiez élu, y aurait-il aussi des nominations symboliques de ce type ?
François Hollande :
Je constate que les trois personnes que vous citez ne sont plus au gouvernement. Ma méthode sera différente et s’inscrira dans la durée. Depuis des années, le Parti socialiste a fait émerger dans ses rangs de jeunes élus de toutes origines. Beaucoup ont fait leurs gammes au niveau municipal, départemental, régional et national. Cette diversité est aujourd’hui notre richesse, et nous l’accentuerons d’ailleurs aux prochaines élections législatives. Si les Français en décident ainsi, la prochaine Assemblée nationale sera donc fortement renouvelée, diversifiée et féminisée. Mais le prochain gouvernement, si je suis élu Président de la République, fera lui aussi une place significative à de nouvelles personnalités, de toutes origines. Les personnes que je choisirais, si j’étais élu, auraient déjà une expérience, des compétences, un parcours politique. Elles auront donc vocation à rester au gouvernement, pas à y faire une brève apparition.

 Que pensez-vous de la manière dont les thèmes religieux ressurgissent actuellement dans le débat politique ? N’est-ce pas contraire à la tradition républicaine, laïque et tolérante de la France ?
François Hollande :
J’y vois une tentative, souvent grossière, de diversion. Le candidat sortant cherche à flatter un électorat intolérant, pour assurer sa présence au second tour en récupérant des voix par un rapprochement de ses positions avec celles de l’extrême droite. La majorité sortante tente à l’évidence de masquer ses résultats économiques désastreux - 10% de chômage, déficit élevé, dette explosive - par la désignation de boucs émissaires. Malheureusement, cette dérive n’est pas aussi récente que votre question semble l’indiquer. Les deux derniers ministres de l’Intérieur ont eux aussi eu des déclarations sur les étrangers et les civilisations - jugées inégales qui procèdent de la même logique. Les nouvelles déclarations du Président sortant sur la viande halal, puis celles du Premier ministre sur les rites d’abattage, semblent confirmer cette stratégie de la peur de l’autre, de la division. Après avoir jugé ce thème peu important, lorsque l’extrême droite tentait de lancer la polémique, la majorité actuelle s’en est finalement elle aussi saisie. Je crois effectivement que la France devra renouer avec sa tradition républicaine, laïque et tolérante. C’est pourquoi je m’engage à être un Président de rassemblement, et non de divisions et de polémiques stériles.

Pensez-vous que l’homme africain est « entré dans l’histoire » ?
François Hollande :
L’histoire de l’Humanité a commencé en Afrique. Le tristement célèbre "discours de Dakar", auquel vous faites référence, révèle de terribles préjugés. Je souhaite de mon côté que nous nous tournions résolument vers le 21e siècle et dépassions les clichés d’antan. L’Afrique mérite mieux que cela.



17/04/2012
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